Genévriers de Phénicie des falaises

Des arbres millénaires adaptés à des conditions de vie extrêmes

L’étude des Juniperus phoenicea de falaises à débuté en 2001 à la suite d’un article de D. Larson qui indiquait avoir trouvé un genévrier de Phénicie de 1140 ans et de 8 cm de diamètre dans les falaises des gorges du Verdon. Des prospections préliminaires dans les gorges de l’Ardèche où cet arbre se trouve à la limite nord de son aire de répartition sur la rive droite du Rhône, ont montré que de nombreux petits échantillons de bois, ramassés en pied de falaise, avaient des âges compris entre 100 et plus de 300 ans. Rapidement, un programme de recherche fut mis sur pied avec les classes de Techniciens Supérieurs « Gestion et Protection de la Nature » du Lycée Agricole Olivier de Serres d’Aubenas, la Réserve naturelle nationale des Gorges de l’Ardèche, le Conseil Général de l’Ardèche et le Conseil Régional Rhône-Alpes.

 

Juniperus phoenicea cernes (J.-P. Mandin)
Juniperus phoenicea cernes (J.-P. Mandin)

Les parois rocheuses sont des milieux où les contraintes sont très fortes :

  • températures élevées ;
  • faible alimentation en eau et sels minéraux ;
  • manque de place pour le système racinaire ;
  • verticalité qui empêche un développement normal des tiges et des racines et pose problème pour la dissémination des semences ;
  • perturbations peu fréquentes mais importantes : éboulement du support et chutes de pierres.


Le microclimat a été étudié grâce à la mise en place de capteurs de température permanents.
L’établissement des racines dans les diaclases conduit à leur élargissement et finalement à l’éclatement de la roche qui leur sert de support. Les racines mises à nu se dessèchent et l’arbre n’est plus alimenté que par une faible fraction du système racinaire. Le bombardement par les chutes de pierres provoque souvent des blessures sur les arbres allant jusqu’au bris du tronc.

Juniperus phoenicea 1500 ans  (J.-P. Mandin)
Juniperus phoenicea 1500 ans (J.-P. Mandin)

Les genévriers de Phénicie ont des réponses adaptées à ces contraintes.


- Une croissance très lente donnant des arbres très vieux.

Dans les rondelles de bois réalisées sur des souches mortes et sur les carottes prélevées dans des arbres vivants, on rencontre souvent des zones avec plus de 10 cernes au millimètre, les plus fins faisant de l’ordre de 2/100 de millimètre. De plus, il semble que de nombreux cernes sont absents car toutes les mesures d’âge au C14 donnent des âges plus vieux que celui indiqué par le nombre de cernes.

La croissance en longueur est aussi très faible, de l’ordre de quelques millimètres à un centimètre par an, et sur certains rameaux seulement.

Plusieurs souches d’arbres millénaires ont été trouvées. Un arbre tombé au pied d’une falaise, possède 1467 cernes pour un diamètre de 18 cm. De plus, son centre est absent et il manque 50 à 100 cernes environ. Il semble que ce soit l’arbre, correctement daté, le plus vieux de France.


- Une sectorisation de la circulation de la sève donnant des arbres « coloniaires ».

Des expériences de coloration des racines ont montré que la sève a une circulation hélicoïdale et qu’il n’y a aucune circulation latérale, même en cas de blessure. L’arbre étant un ensemble d’unités fonctionnelles juxtaposées, la mort d’une partie du système racinaire entraîne la mort du tronc, du cambium et des rameaux sus-jacents mais pas de l’arbre entier. Les très vieux arbres ont donc à la fois un tronc très dissymétrique en coupe et  beaucoup de bois mort en place. De plus, ils sont parfois « inversés » : tronc horizontal voire dirigé vers le bas et même racines poussant vers le haut.


- Une dissémination endozoochore.

La dissémination des graines se fait essentiellement par l’intermédiaires des crottes de fouine qui consomme presque uniquement des galbules de genévrier de fin août à Noël. On trouve ses excréments en pleine falaise, à des endroits totalement incroyables. Il est probable que des oiseaux disséminent aussi les graines, mais nous n’avons pas pu le mettre en évidence. Les graines de Juniperus phoenicea possèdent une dormance tégumentaire qui est levée par le passage dans le tube digestif de la fouine. Mais même dans les conditions les plus favorables, les taux de germination sont très faibles, de l’ordre de quelques pourcents, et les germinations se poursuivent pendant six mois.


- Des recrutements par bouffées.

L’observation des populations de genévriers de Phénicie de plusieurs falaise montre qu’il y a des parois où on trouve surtout des jeunes, d’autres surtout des vieux, d’autres enfin où les classes d’âges sont plus équilibrées. En fait, dans une paroi, les racines des arbres installés occupent tout l’espace disponible. Il n’y a aucune place pour les jeunes. Ils ne peuvent s’installer que si un vieux meurt et libère la place. Comme ils peuvent vivre 1500 ans, les recrutements ne peuvent se faire qu’après un éboulement ponctuel ou massif.

- Une gestion du sexe modulable.

Les populations de J. phoenicea présentent trois catégories d’individus : des mâles, des femelles et des individus bisexués. Un suivi des floraisons de 120 arbres répartis en 6 stations (3 en paroi et 3 sur le plat) a montré des choses étonnantes.La proportion des 3 catégories varie d’une année à l’autre, l’état sexuel d’un individu pouvant changer. Ainsi, lors du suivi de 5 ans, 8 individus ont changé au moins une fois totalement de sexe, passant d’entièrement mâle à entièrement femelle, ou le contraire.Aucun individu n’est resté uniquement mâle pendant la période considérée, alors que 31 arbres sont toujours restés femelles. Donc, sur le long terme, les populations de J. phoenicea ne sont constituée que de deux catégories d’arbres : environ un quart de femelles et trois quart de bisexués, proportion qui se retrouve aussi dans des populations étudiées en Espagne par Pavón García. L’espèce est donc gynodioïque, bien que ce terme ne soit pas totalement approprié puisque les espèces gynodioïques ont des individus mâles et des individus avec des fleurs bisexuées, alors que chez J. phoenicea, il y a bien des individus femelles, mais les individus bisexués ont des fleurs mâles et femelle séparées.Le développement des fruits nécessitant beaucoup de nutriments, cette gestion du sexe permet aux arbres de gérer au mieux leur investissement énergétique dans la reproduction : faire moins de fleurs femelles dans les conditions les plus défavorables (falaises les plus sèches et chaude) et aussi ne pas fleurir ou faire essentiellement des fleurs mâles après une année de grosse floraison femelle.


Des J. phoenicea millénaires se trouvent dans tous les canyons calcaires du Midi de la France, par exemple : Galamus (Aude-Pyrénées Orientales), Verdon (Alpes de Haute Provence), Eygues (Drôme), Vésubie, Tinée  et de nombreuses falaises des Alpes maritimes.


Une thèse de doctorat sur les arbres de falaise a été réalisée par Coralie Mathaux sous le direction du Pr. T. Gauquelin de l’Université d’Aix-Marseille et de F. Guibal, chercheur en dendrologie à l'IMBE.

Juniperus phoenciea La Madeleine (J.-P. Mandin)
Juniperus phoenciea La Madeleine (J.-P. Mandin)

Articles :

 

- Mandin J.-P., 2005. Découverte de très vieux genévriers de Phénicie (Juniperus phoenicea L.) dans les gorges de l’Ardèche (France). J. Bot. Soc. Bot. France. 29 : 53-62.


- Mandin J.-P., 2006. Morphologie des très vieux genévriers de Phénicie (Juniperus phoenicea L.) en parois rocheuses (gorges de l'Ardèche, France) III Coloquio Internacional sobre los sabinares y enebrales (Género Juniperus ) : Ecologia y Gestion Forestal Sostenible, Soria (Espagne), 24-26 Mai 2006, t.1 : 303-310


- Mandin J.-P., 2012. Les genévriers de Phénicie dans les parois rocheuses : d’extraordinaires arbres millénaires. La Garance Voyageuse. 99 : 6-13

 

Sites internet :

 

Les genévriers
http://biologie.ens-lyon.fr/ressources/biodiversite/Documents/la-plante-du-mois/le-genevrier-de-phenicie-parmi-les-genevrier-de-france/

 

Genévriers de Phénicie millénaires dans les gorges de l'Ardèche
http://biologie.ens-lyon.fr/ressources/biodiversite/Documents/la-plante-du-mois/des-genevriers-de-phenicie-millenaires-dans-les-gorges-de-l-ardeche/

 

Modélisation de la croissance des genévriers de Phénicie des falaises
http://biologie.ens-lyon.fr/ressources/biodiversite/Documents/architecture-vegetale-diversite-des-formes-et-des-symetries/modelisation-de-la-croissance-dun-genevrier-de-phenicie

 

Morphologie des genévriers de Phénicie
http://biologie.ens-lyon.fr/ressources/biodiversite/Documents/la-plante-du-mois/les-genevriers-de-phenicie-des-parois-rocheuses-des-arbres-a-morphologie-variable/

 

Adaptations des genévriers de Phénicie à des conditions extrêmes
http://biologie.ens-lyon.fr/ressources/biodiversite/Documents/la-plante-du-mois/les-genevriers-de-phenicie-des-parois-rocheuses-des-arbres-adaptes-a-des-conditions-de-vie-extreme/

 

Régénération des populations de genévriers de Phénicie

http://biologie.ens-lyon.fr/ressources/Biodiversite/Documents/la-plante-du-mois/regeneration-des-populations-de-genevrier-de-phenicie